Une autre histoire beaucoup plus dramatique eut lieu lors de la conquête de la Nouvelle-France et de la bataille des plaines d’Abraham de septembre 1759. Cette histoire invraisemblable impliquant une religieuse et un soldat anglais fut publiée récemment dans un livre intitulé A Bard of Wolfe’s army 1733-1830 publié sous l’égide de la Fondation Stewart.
Dans ce livre, un sergent écossais du nom de James Thomson de l’armée anglaise relate ses mémoires récemment publiées et annotées par deux historiens Earl John Chapman et Ian Macpherson McCulloch. Le Sergent Thomson éduqué en Écosse nous raconte des anecdotes dont une avec le Général Wolfe le vainqueur de la bataille des plaines d’Abraham du treize septembre 1759. Après cette bataille des centaines de blessés tant français qu’anglais furent transportés à l’hôpital Général de Québec pour être soignés par les soeurs hospitalières Ursulines.
Un blessé âgé de 23 ans, le Sergent John Wilson des Fraser’s Highlanders fut transporté dans un lit d’hôpital sous les soins attentifs d’une jeune religieuse de 19 ans, Soeur Saint Gabriel. La jeune religieuse complètement dévouée à son patient, fut en grande partie responsable de la guérison quasi-complète de ses blessures. Le 28 avril, branle-bas de combat, le Général Murray faisait face à une contre-attaque des forces françaises commandées par le chevalier de Lévis à Sillery.
Malgré son état de faiblesse le Sergent Wilson se porta volontaire pour ne pas lâcher son régiment, et après examen médical il fut déclaré apte au combat: son départ entraîna une crise de pleurs de la part de Soeur St. Gabriel ce qui n’attira pas initialement l’attention des autres religieuses. Malheureusement la bataille de Sillery remportée par les français causa la mort de nombreux soldats dont celle du jeune Sergent Wilson.
Lorsque Soeur Saint Gabriel décrite par le Sergent Thomson comme une jeune femme accorte (a comely young woman) appris la nouvelle du décès du Sergent Wilson elle fut terrassée par des convulsions qui alarmèrent profondément les soeurs du couvent.
Transportée à l’hôpital et déshabillée, elle fut mise au lit quand Oh surprise! on découvrit son état avancé de grossesse! On fit donc le lien rapidement entre sa crise épileptique et la mort du jeune soldat écossaise.
La Mère Supérieure fut mandée immédiatement et elle accusa alors Soeur Saint Gabriel de conduite pécheresse impardonnable tout en la menaçant de torture si elle n’avouait pas son crime. On ne pu rien tirer de la pauvre jeune femme sauf des soupirs et des sanglots. Amenée devant le conseil des religieuses, tout ce qu’on pu lui arracher furent ces quelques paroles: « Ah! Nous sommes toutes mortelles ».
Finalement on rédigea un acte de condamnation contre Soeur Saint Gabriel dont la sentence était « la mort par étouffement entre deux matelas de plumes ». Cet acte fut dûment signé par l’évêque de Québec et envoyé par un prêtre pour confirmation par le Général Murray. Cette procédure, dans ce genre de situation, était la règle lors du Régime Français où l’intendant devait ratifier de tels jugements.
Cependant le Général Murray refusa d’entériner ce jugement et il envoya une réplique de soldat à la Soeur Supérieure, selon quoi: « Elles n’avaient aucun droit de porter un jugement impliquant la vie d’un sujet de Sa Majesté le Roi d’Angleterre et que si la religieuse en question était accusée d’un crime qu’on lui fasse alors un procès dans une cour légalement constituée et non pas dans un conseil de religieuses. »
De plus, déclara-t-il « que si les religieuses ne se désistaient pas, qu’il ordonnerait deux pièces d’artillerie qui seraient placées devant la porte du couvent prêtes à détruire les murs et qu’en plus qu’il ferait un rapport à Londres dénonçant la transgression honteuse commise contre les lois existantes.
Il semblerait que la sentence imposée fut reportée indéfiniment même si les règles de l’ordre défendait sous peines graves tout contact avec une personne du sexe opposé, pas même une conversation sauf en cas d’actes charitables; en cas de transgression, suivant le Sergent Thomson, les religieuses devaient en conscience soit faire étouffer la coupable entre deux matelas de plumes ou l’emprisonner dans une cellule au pain et à l’eau.1
James Thompson (1793) 47 rue Ste Ursule, Ville de Québec
Quelques années plus tard le Sergent Thomson qui en tant qu’ingénieur des bâtiments devait inspecter les grand bâtiments publics de Québec avait à rencontrer Soeur St. Gabriel lors de ses visites d’inspection. Elle était bien vivante et s’occupait des petites réparations à la structure du couvent. Au fil des années, les deux devinrent amis et avec grande précaution le Sergent Thomson apprit que le bébé né de sa liaison avec le Sergent Wilson était vivant et avait été confié à la grand-mère qui vivait non loin. Dix-sept ans après la naissance Soeur St. Gabriel réussit à recevoir une lettre de son fils grâce au Sergent Thomson à qui la grand-mère avait confié cette lettre précieuse pour la remettre à sa fille Soeur St. Gabriel. La pauvre maman-nonne mourut à 46 ans sans avoir jamais vu son fils.2
L’histoire de Mesplet et de Jautard circa 1780 montre l’influence encore considérable du clergé et des seigneurs intégristes sur l’administration britannique pendant que l’anecdote du Sergent Thomson de 1760 nous démontre l’effet bénéfique d’une intervention d’un gouverneur anglais Murray. En somme le régime britannique aida le Québec à faire une transition graduelle de l’autoritarisme religieux et de l’absolutisme royal vers un système démocratique et ce sur une période de cent ans marque du soubresaut de 1837-38 jusqu’à l’acte confédératif de 1867.
1Note de Pierre Arbour. La sentence d’étouffement réglait deux problèmes: on se débarrassait de la coupable et du fruit de son crime.
2L’archiviste de l’Hôtel-Dieu put confirmer à l’éditeur Earl John Chapman que Soeur St.Gabriel avait bel et bien existée et que celle-ci mourut en juin 1787 l’âge de 46 ans. Cette confirmation fut obtenue avec la promesse de ne pas révéler le nom de famille de Soeur St.Gabriel: pour le moment il a été impossible d’obtenir le compte-rendu du procès de Soeur St.Gabriel autorisant l’Acte de Condamnation.